Rose ouvrit la porte de l'immeuble d'un coup de pied. Ses bottines étaient trempées et laissaient derrière dans ses traces de pas un sordide mélange de boue et de sang. Tant pis pour le bois de la porte, le paillasson et l'escalier. Elle avait eu une journée assez éreintante, sur les détails de laquelle elle ne souhaitait pas s'étendre, mais qui l'avait conduite à rentrer chez elle, bien trop tard, les bras encombrés d'un paquet à l'aspect des plus suspects. Ce monde l'ennuyait déjà au plus haut point, mais devoir perdre sa robe préférée… Sa journée ne pouvait pas empirer, n'est-ce pas ?

Comment les choses auraient-elles pu être pire ? Du sang, du sang, du sang. Il y avait du sang partout. Ses bottes en étaient couvertes, les plis de sa jupe en dégoulinaient ; ses gants étaient fichus, elle n'avait plus qu'à les jeter. Elle en avait même sur la joue, bien qu'elle l'ignorait. Quelle horreur, vraiment – mais pourquoi avait-elle accepté de travailler chez un boucher ?

Et il fallait maintenant qu'elle rentre chez elle, dans ce petit appartement miteux qu'on lui avait presque imposé, dans ce petit quartier horriblement tranquille et charmant. Elle aurait préféré habiter près des Ruines, près de l'action. Mais non, elle devait protéger un humain, donc elle devait pouvoir lui offrir un certain cadre de vie.
Rose jurait doucement sous sa barbe, montant une à une les marches qui menaient à son étage. Le vieux avait insisté pour lui donner un cochon entier pour la remercier, et elle l'avait empaquetée dans la première toile de jute qui passait. Ce cadeau encombrant était lourd à tous les sens du terme et, en plus, puait l'animal mort et la viande avariée. Elle songeait à le garder dans un coin pour empoisonner quelqu'un lorsqu'une porte s'ouvrit devant elle, alors qu'elle posait le pied sur un palier quelconque.

Ah, merveilleux. Parce qu'en plus, elle allait avoir des voisins. Autant qu'ils apprennent tout de suite à lui obéir et à la respecter.

« Bonsoir », dit-elle d'une voix faussement guillerette. « Je suis sûre que vous avez follement envie de m'aider. »