Toutes les fables devraient connaître une fin heureuse…
Je suis née par une froide nuit de décembre, la bourrasque n’avait jamais soufflé si violemment, et les quelques feuilles restées dans la ville étaient comme amassées devant la fenêtre, admirant le spectacle. Les douze coups sonnaient lorsqu’un faible cri s’échappa du logis.
Un faible cri, certes, vraiment faible… Ayant déjà vécu un accouchement par le passé, mes parents se doutaient que quelques choses ne se passait pas comme "dans la norme". Mais j’étais vivante, et vu les diverses maladies qui naissaient dans la même période, c’était un miracle.
Dans les temps qui suivirent, ils se doutèrent que ma voix ne serait jamais comme celle de tous, elle serait faible, atténuée, voire inexistante. Bien que mes géniteurs firent tous ce qu’il était en leur pouvoir, je n’appris à écrire comme la majorité des enfants à écrire vers 5 ans.
Cinq ans, cinq longues années, 60 mois, 1826 jours. La période fut longues durant laquelle je me retrouvais sans pouvoir dire ce que je pensais, le silence était roi dans ma vie, je n’étais pas comme mon frère ou mes parents, encore moins que Carole, notre femme de ménage (à mon sens c’était plus une domestique qu’autre chose), bavarde comme une pie.
L’avantage avec le silence, qui a le mérite d’en avoir un, c’est que tu apprends plus vite à écouter, à faire attention à des détails, tu apprends des mots, des expressions ; ainsi à 5 ans j’étais à la fois une enfant éveillée à l’écoute d’autrui, très bonne confidente (bien obligée), et les expressions et mots que j’avais entendu, sur lesquels je m’étais concentrée dès que j’en fus capable, je les remettais rapidement sur le papier.
Le fait que j’étais différente n’a pas vraiment changé grand-chose à mon enfance (en enlevant tous les préjugés de ces langues de vipères), hormis le fait que je ne pouvais parler : je pouvais courir, sentir, me rouler dans l’herbe quand nous allions dans notre résidence de campagne, cueillir les fruits du dur labeur de la nature, jouer avec mon grand frère, et surtout, ce qui avait illuminé la première moitié de ma vie, jouer de la musique.
Dans notre salon, trônait un vieux piano, poussiéreux, massif, un vrai mastodonte pour une fillette de 0,75 mètre. Il m’intrigua dès mon plus jeune âge ; petite, je croyais que c’était un monstre et n’osais pas m’en approcher, ainsi je restais pendant plusieurs heures derrière la causeuse, guettant le moindre de ses mouvements.
Un jour ou les amies de ma mère quittaient notre maison, s’apercevant pour la énième fois que je me cachais derrière mon amie en tissu, elle s’assit, et joua une mélodie, la "Lettre à Elise", de Mozart. Au fil de la symphonie je m’avançais vers ce que j’avais évité durant plusieurs mois, sur mes petites jambes de bambin de 3 ans (je suis également une grande adepte des retours en arrière… nostalgique) et je finis par m’asseoir à ses côtés et appuyer sur les touches, puis en interprétant maladroitement et au ralenti l’œuvre de Wolfgang Amadeus.
Plus le temps passait et plus je me perfectionnais avec le piano. Pour mes sept ans, ma maman m’offrit un violoncelle, un instrument énorme, avec qui je me familiarisai dans les plus brefs délais, après tout, j’avais l’habitude. Le temps passa et le violoncelle remplaça le piano (que je n’oubliais pas pour autant, j’en jouais juste moins), j’appris également la poésie, la littérature et la peinture au cours de la même période.
Mon père n’étant pas souvent là, je restais la plupart du temps avec ma mère et mon frère, nous nous promenions sur les rives du fleuve, des rues pavées de pierres, toutes grises, des arbres aux troncs droits et fins, marrons, tous, avec des feuilles tirant entre le vert "chartreuse" et le rouge "anglais", des oiseaux piaillant de ci de là, virevoltant loin au-dessus de nous, tels des anges. Mon frère s’amusait, ma maman affichait un large sourire sur son visage.
Si j’étais devenu compositrice comme je le voulais l’être, ma première œuvre ce serait appelé "l’Apothéose des Anges", oui apothéose, car toute bonne tragédie subit un retournement sans possibilité d’échappatoire.
Maman tomba gravement malade, elle avait contracté la Tuberculose, maladie qui, à l’époque, était une vraie pandémie. Je ne la vis pas pendant plusieurs mois, encore moins mon père à vrai dire, il se cachait, n’osait pas nous dire en face, à Roger et à moi, que nous ne reverrions peut-être, même sûrement pas, notre Maman adorée.
Pendant longtemps nous avons vu défiler des dizaines de médecins par jour, parfois par heure, enfin, le jugement tomba : elle ne pouvait être sauvée. Mon ainé s’est effondré sur son lit tant il était choqué, et moi, je ne pouvais me résoudre à quitter le mien.
Au chœur du couloir, pourtant, en plein milieu de la soirée, une petite silhouette en chemise de nuit blanche se détacha du drap noir et obscur qui recouvre le monde après le crépuscule, et se dirigea vers la chambre de la malade. J’ouvris la porte et me dirigea vers le lit. Elle était vraiment là, calme, paisible, comme si le temps s’était arrêté, mais son souffle se faisait encore sentir, alors, je me suis agenouillée au pied du lit, pris ses mains et, pour la première fois de ma vie, ai parlé.
« Maman ? »Sa tête se tourna, elle ouvrit les yeux, je serrai plus que jamais ses mains et elle me répondit.
« - Colleen, tu as parlé… quelle belle voix tu as, je regrette de ne pouvoir l’entendre plus longtemps…-Non Maman ! Tu vas vivre je te le promets, ne pars pas je t’en prie… »
Des larmes commencèrent à perler sur mes joues, les unes après les autres, puis par légion. Du sang quittait sa bouche, en quantité infime, mais assez pour signaler que la mort approchait.
« - Colleen… sois forte ma chérie, je ne te quitterai jamais… Adieu.- MAMAN ! »Elle rendit l’âme, dans la nuit de lundi à mardi.
Le lendemain, ma famille découvrit le corps de ma mère, et moi juste à côté. Mon frère se jeta sur moi pour essayer de me séparer du cadavre, mais je ne voulais pas. On pleura longtemps tous les deux, puis notre père vint, posa ses mains sur nos épaules et dit :
« Ne vous inquiétez pas, vous aurez bientôt une nouvelle mère et des petits frères et sœurs en prime.»Il souriait en le disant, d’un sourire étrange, d’un sourire méchant.
En effet, depuis plusieurs années il profitait de ses absences pour lâcher son "manque" sur Carole, qui appréciait aussi. Il se maria avec elle le jour qui suivit celui de l’enterrement de notre mère, et à partir de là, bien que Carole était enceinte de 5 mois, les ébats n’en finirent plus. Chaque soir, chaque nuit nous ne pouvions dormir tant ils étaient bruyants… et ils ne se privaient pas. Je contractai aussi la Tuberculose dans les même temps, voilà pourquoi mon heure se hâtait : car je ne pouvais me reposais. Mon père se fichait totalement de nous, rien d’importait plus que ses désirs sexuels d’homme.
La maladie ne me laissait aussi aucun répit, j’étais constamment coincée dans une étreinte de fer qui se resserrait petit à petit sur moi. Les jours me paraissaient être des années et les mois, une éternité. Bien que mon supplice dura moins longtemps que celui de ma mère, cet ombre tapis je ne sais où ne me faisait pas de cadeau, j’étais prisonnière.
Enfin, je quittai ce monde, le 14 novembre, comme un soulagement.
J’ai erré sur Terre, perdue dans la brume des jours comme une âme en peine, ne se souciant plus de rien, durant des milliers d’années il me semble…
« Ma plume exprime ce que je ne peux dire, elle est mon interprète, le moi qui a le désir d’aider autrui, écoutez la. »